Une croix de Saint-Louis pour Pensacola
- Détails
- Écrit par Charles-Philippe de Vergennes
Le document à l’origine de cet article se présente sous la forme d’une feuille recto verso de 20,5 x 31,5 cm entièrement manuscrite, à l’en-tête Corps royal de l’Artillerie, Second bataillon du régiment de Metz détaché à St Domingue. Daté du 15 juillet 1781 et intitulé Mémoire pour la croix de St Louis, il est adressé au marquis de Ségur, alors ministre de la Guerre. Son auteur, Floxel Henry Dusaussay de Greville (1743-1810), y énumère ses états de service depuis son entrée dans une compagnie garde-côte de la capitainerie de Cherbourg le 7 septembre 1761, avant d’être reçu au Corps royal de l’artillerie le 10 juin 1767 et différentes affectations dont la dernière à St Domingue. C’est là que, capitaine en second depuis le 3 juin 1779, il embarquait « au môle St Nicolas le 13 octobre 1780 avec 30 hommes du corps royal sur l'escadre de M. le chevalier de Monteil où après plusieurs croisières, [il] s’est trouvé au siège de Pensacola avec un renfort de 50 canonniers commandés par M. de Gimel, lieutenant du dit corps et y a été employé par M. de Galvez, commandant l'armée espagnole, à la construction, service et réparation des batteries ». Il ajoute : « Dans toutes ces occasions il a paru mériter le suffrage du général et de tous les officiers de l'armée », avant de conclure qu’« en considération de ces services, il a l'honneur de supplier monseigneur le marquis de Ségur de vouloir bien lui accorder la croix de St Louis ».
Mais avant de poursuivre l’étude de ce document, rappelons brièvement ce que fut le siège de Pensacola. En juin 1780, le commandement de l'escadre des antilles est confié à Monteil qui dispose de 15 bâtiments dont cinq vaisseaux de 74 et quatre de 64. Monteil était à La Havane à bord du Palmier. Les espagnols évoquent leur projet sur Pensacola occupé par les anglais et cher au gouverneur de la Louisiane, Bernard de Galvez, qui menait depuis 1779 la vie dure à leurs troupes. On partit donc en octobre 1780 pour la Floride occidentale et Monteil prit part à l'expédition avec le Palmier, le Destin, le Triton, l'Intrépide et les frégates Licorne et Andromaque.
Un corps français de débarquement de 700 hommes, commandé par le chevalier du Botderu, capitaine de vaisseau, rendit alors des services efficaces et Pensacola attaqué par mer et par terre par Galvez qui avait le commandement général de l'expédition, se rendait le 9 mai 1781, après 11 jours de tranchées ouvertes et 61 jours depuis le débarquement des alliés dans l'île Sainte rose. Monteil était de retour à La Havane le 28 mai.
Revenons au mémoire visé successivement par deux officiers ayant participé directement aux opérations :
- Paul Guy de Gimel certifie que « monsieur de Greville est un officier rempli de connaissances, très actif et de la meilleure volonté », avant de conclure « Je supplie le marquis de Ségur de lui accorder la grâce demandée » ;
- Nicolas Hyacinthe chevalier du Botderu, en tant que « capitaine des vaisseaux du roy, commandant les troupes françaises au siège de Pensacola, certifie que « monsieur de Greville… s’est conduit avec la plus grande intelligence, zèle et bravoure à la construction et service des batteries et a reçu publiquement les éloges les plus distingués de M. de Galvez » ;
et deux autres officiers, pour confirmation :
- Jean Claude Joachim de Faultrier, en qualité de colonel du régiment de Metz, qui certifie que « M. de Greville [...] a toujours joint à la meilleure conduite autant de zèle que d’activité pour son service qu’il remplit avec distinction, il a donné des preuves si authentiques de ses connaissances au siège de Pensacola par la manière dont il a dirigé et fait servir l'artillerie et s’y est rendu si utile que je le crois véritablement susceptible de la croix de Saint-Louis demande, et je désire sincèrement qu'il l’obtienne. À Metz, le 15 janvier 1782 ».
- Le chevalier de Saint Mars qui « ne connaissant point M. Dusaussay de Greville [ne peut] que mettre [son] vu bon sur les noms des trois officiers supérieurs sus-signés ».
la croix de Saint Louis |
Quel fut le sort de ce document qui ne porte aucune référence des services du secrétariat à la Guerre ? Apparemment il resta sans effet immédiat puisque Dusaussay de Greville ne reçut la croix de Saint Louis qu’en 1787 ainsi que le mentionne sa notice du Dictionnaire des officiers de l’armée royale de Bodinier. il devait ensuite démissionner de l’armée le 30 juillet 1792, avant de mourir à Greville le 20 juillet 1810.
En conclusion, ce « mémoire » reste un témoignage émouvant dans sa forme et son contenu, d’une action certes « périphérique » de la guerre d’indépendance, mais justement célébrée, tant du côté américain car elle empêchait les Britanniques de les encercler par le sud et laissait ouvert un corridor d’approvisionnement, que par l’allié espagnol dans cette partie du continent américain à laquelle il s’intéressait tout particulièrement. Galvez mourut en 1786 et Pensacola est aujourd’hui une base militaire où s'entraînent, entre autres, les Blue Angels, escadron de démonstration et ambassadeur de l’US Navy et du corps des Marines.