L’insigne de la Société des Cincinnati

insigne aigle dessinLe 10 mai 1783, les officiers de l’armée américaine ainsi que les officiers étrangers, décident « pour perpétuer aussi bien le souvenir de ce grand événement» (la victoire sur les troupes britanniques ) « que celui de l’amitié formée au milieu des dangers courus en commun », de s’associer en se constituant en une Société d’Amis et d’avoir un Ordre qui permettra à ses membres de se reconnaître et qui sera « une médaille d’or », d’une taille suffisante pour recevoir les emblèmes ci-après : 

  • À l’avers, Cincinnatus auquel trois Sénateurs romains présentent une épée et autres attributs militaires, le tout sur un champ cultivé à l’arrière-plan duquel se trouve sa femme, à la porte de l’habitation, avec près de là une charrue et autres instruments de culture. En exergue, autour, l’inscription Omnia reliquit servare Rempublicam.
  • Au revers, un soleil levant sur une ville, les portes ouvertes, et dans le port de laquelle entrent des vaisseaux. La Renommée couronne Cincinnatus d’une guirlande où sont inscrits les mots Virtutis Praemium. Au-dessous, des mains jointes tiennent un cœur avec les mots Esto Perpetua. Autour du tout, en exergue Societas Cincinnatorum instituta AD 1783 et, suspendue par un ruban bleu foncé (deep blue) de deux pouces de large, bordé de blanc, symbolisant l’union de l’Amérique et de la France. Description détaillée et d’un symbolisme très évocateur sinon évident puisque la Société avait choisi de se placer sous le vocable du héros romain Lucius Quintius Cincinnatus, noble romain, consul et deux fois dictateur (458 et 438 av. J.-C.), passé à la postérité comme le modèle idéal de la simplicité des grands hommes de l’ancienne Rome. Si, comme l’explique Minor Myers jr, ancien Secrétaire Général de la Société des Cincinnati (1986-1989), dans l’ouvrage qu’il consacra en 1998 aux insignes de la Société, l’idée d’un insigne remonte à 1776 et émane du Major Général Henry Knox, alors colonel, ce n’est que beaucoup plus tard, les hostilités terminées et la guerre gagnée, que la décision de sa réalisation fut prise. À cet effet, le baron de Steuben, en sa qualité de président provisoire de la Société comme étant le plus ancien des officiers généraux de l’armée américaine, écrivait dès le 20 mai 1783 au major Pierre L’Enfant, officier français servant comme ingénieur avec une commission du Congrès, pour lui demander de proposer un modèle de décoration conforme aux statuts. Le 10 juin, L’Enfant lui envoyait les dessins des deux faces d’une médaille qu’il avait faits en grand « afin qu’on puisse mieux juger de l’ensemble ». Mais, pour éviter les préjugés qui pouvaient s’attacher au port d’une médaille qui selon lui n’était « considérée dans les différents états européens que comme une récompense d’artiste ou d’artisan.», il propose de lui substitue rune distinction d’une forme nouvelle sur la base du « bald eagle » qui est particulier à ce continent et qui se distingue de celui des autres climats par sa tête et sa queue blanches », et joint deux « essais » :dans l’un, l’aigle supporte une étoile à treize pointes, dans le centre de laquelle est renfermée la figure de la médaille avec les inscriptions tant sur la face que sur le revers ; dans l’autre, l’aigle porte simplement sur sa poitrine la figure de la médaille, avec une légende dans ses serres et autour du col, laquelle lui passe par derrière le dos pour soutenir le revers. Cependant, bien que sa préférence aille plus vers l’insigne qu’à la médaille, L’Enfant suggérait de faire réaliser les deux. Le 19 juin, Steub en réunissait les généraux et officiers délégués par les régiments. Après lecture de la lettre du major, il était décidé que l’aigle chauve portant l’emblème sur la poitrine serait considérée comme l’insigne de la Société et que les médailles en argent ne dépassant pas (la taille d’) un dollar espagnol, avec l’emblème, seraient également données à chaque membre de la Société, en même temps qu’un diplôme en parchemin sur lequel seraient imprimées les figures de l’insigne et de la médaille. L’Enfant fût ainsi chargé le29 octobre 1783 de se rendre à Paris pour s’assurer de leur fabrication qui fut confiée à deux orfèvres réputés : Nicolas Jean Francastel et Claude Jean Autran Duval. Seuls les insignes sous la forme d’aigles furent alors réalisés. Ils adoptaient la forme de l’aigle américaine(1), aux ailes d’or déployées, dont la tête passe au milieu d’une couronne de lauriers émaillés de sinople formant un huit dont la partie supérieure en dôme se replie pour former bélière. Au-dessous du cou, posé sur ses serres qui reposent elles-mêmes sur deux branches de laurier émaillées de même, l’aigle supporte sur chacune de ses faces un médaillon ovale au champ d’azur, entouré d’un cercle émaillé blanc avec les inscriptions en exergue. Cependant, en raison des dimensions limitées de ces centres, les scènes de la vie de Cincinnatus furent réduites aux éléments essentiels. 
  • Quant au ruban, à l’origine bleu foncé (deep blue) moiré avec liséré blanc, il s’éclaircit au fil du temps pour adopter le bleu clair avec ce même liseré blanc, que nous lui connaissons aujourd’hui. 

L’adoption définitive du « bald eagle » fut acquise le 13 mai 1784, au cours de la première assemblée générale qui se tint à Philadelphie. En France et dès que l’ordre fut autorisé, les officiers membres de la société portèrent la décoration à la même boutonnière que la croix de Saint-Louis, ainsi qu’il ressort des prescriptions fixées dans une lettre du 27 septembre 1784 par le Maréchal de Castries, ministre de la Marine.

Pour en revenir à la décoration, il ne faut pas oublier que les insignes d’origine étaient fabriqués à la main: il en existe donc de nombreuses variétés dans les formes, les détails et même les dimensions. Plus tard quand des coins furent gravés, celles-ci subsistèrent mais pour d’autres raisons. Ainsi Minor Myers jr(2) a réussi à inventorier 80 modèles d’insignes, qu’il a classés en quatre grandes familles : ceux d’origine, français [8] et américains [16], les « tardifs » (1850/1900), français [16] et américains [12], les modernes (à partir de 1902) [16], et les « reprises » d’insignes anciens [12]. Chaque modèle est magnifiquement illustré et accompagné d’une notice très complète.

Dans le cadre du présent article, nous nous attacherons plus spécialement à trois d’entre eux :

 

L’insigne en diamants du président général

insigne aigle diamantsRéalisé dans les ateliers de Duval et Francastel, un insigne enrichi de 194 pierres précieuses (155 diamants, 28 émeraudes, 10 rubis et un saphir bleu) fut envoyé aux États-Unis, accompagné d’une lettre du vice-amiral d’Estaing datée du 26 février 1784 qui commençait ainsi : « C’est au nom de toute la marine française que je me permets de prier votre Excellence d’accepter un aigle américain représenté plutôt qu’embelli par un artiste français… ». Le général Washington reçut cet envoi à Philadelphie et en accusa réception le 15 mai. Dès lors, il porta cet insigne et à sa mort, sa veuve remit le bijou à son successeur, le Major Général Alexander Hamilton. L’Assemblée générale de la Société du 8 août 1811 décida que cet insigne serait à l’avenir considéré comme appartenant à la charge de président général. Depuis, il est toujours arboré par les présidents successifs et considéré comme le souvenir de la grande alliance ainsi que de l’union parfaite entre Cincinnati français et américains. En 1971 et pour assurer une parfaite sécurité de ce précieux insigne et de la symbolique dont il est chargé, lors des déplacements du Président général, tant à l’intérieur des États-Unis qu’en France, il fut décidé par Harry Ramsay Hoyt, alors Vice Président général, d’en faire exécuter une réplique. Ce travail fut confié à la Société Oscar Heyman & Brothers à New York, qui réalisa un insigne de dimensions identiques à l’original et comportant 158 diamants (plus petits que les originaux), 28 émeraudes, 10 rubis et un onyx.

 

L’aigle de 1902

insigne aigle 1902Un comité composé du Président Général, du Secrétaire Général et du Trésorier Général choisit parmi un grand nombre de modèles présentés par différents fabricants, celui de la firme Barcley Barnes et Biddle de Philadelphie et fixa à cette occasion le principe selon lequel la vente des aigles ne pouvait se faire qu’au profit des membres de la Société. Cet insigne était une interprétation « artistique » du Bald American Eagle et d’une facture générale particulièrement soignée et élégante. Son contour épouse la forme d’un ovale, les ailes allongées descendant jusqu’à la base de l’insigne en s’affinant à leurs extrémités. La tête de l’aigle est tournée à gauche, avec crête blanche et yeux rouges. Les centres sont conformes au modèle et très finement ciselés. L’insigne est suspendu au ruban par un système caractéristique en forme d’anneau lové à une extrémité pour pouvoir transférer aisément l’insigne d’un ruban porté au cou à celui porté sur la poitrine. En effet, lors de la Triennale de Newport en juillet 1887, il avait été prévu de porter l’insigne soit autour du cou (comme la « cravate » d’un ordre), soit sur la poitrine sur le côté gauche. John Cropper, qui fut Trésorier Général adjoint de 1899 à 1905, imagina alors ce dispositif ingénieux, mais d’une esthétique au premier abord un peu surprenante.

 

L’insigne actuel de la Société des Cincinnati de France

insigne aigle arthus bertrandLa Société française, reconstituée en 1925, choisit de se doter d’un insigne ainsi qu’il ressort d’un document figurant dans ses archives(3) : « FABRICATION DE L’INSIGNE Sur la proposition du Marquis de Dampierre, le Comité est entré en rapport avec la maison Arthus Bertrand et Cie, joailliers, 46, rue de Rennes, pour la fabrication d’un insigne. Nous avons désiré faire exécuter dans des conditions aussi économiques que possible une reproduction fidèle du modèle actuellement en cours. Cet insigne aux matrices duquel on travaille en ce moment pourra être livré vers la fin de 1926 ». Le modèle retenu reprend largement celui de l’aigle du Delaware, lui-même apparu au début des années 1920 comme le relate Minor Myers jr(4). Les ailes sont plus « trapues» et tombent presque verticalement à la façon de l’aigle impériale française. La tête est tournée à gauche, sans crête et avec les yeux noirs. Les médaillons des centres ont été simplifiés et leur fond est en émail bleu clair. Le mode de fixation au ruban est celui de l’anneau lové imaginé par John Cropper. Les insignes sont réalisés en vermeil et leur facture générale reste très soignée.

  

1. En héraldique, une aigle est la figure représentant un aigle.
2. Insignia of the Society of the Cincinnati Washington D.C., 1998, 120 p.
3. « Compte rendu des événements survenus et des informations recueillies entre le 4 juillet 1925 et le 4 juillet 1926 », p. 6.
4. op. cit. p. 78 et 104.

   

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