Origine de la branche française
L'objet de la Société est de perpétuer le souvenir des circonstances qui ont abouti à l'indépendance des Etats-Unis et de la fraternité d'armes qui unit officiers américains et français au cours des combats qu'ils menèrent ensemble.
Les Cincinnati veulent promouvoir les valeurs de liberté, d'initiative, de dévouement au bien commun et de responsabilité qui ont fait la réussite des Etats-Unis. Ils s'attachent également à maintenir les liens privilégiés établis entre les deux pays à l'occasion de la guerre d'Amérique et prolongés durant les deux guerres mondiales. La Société des Cincinnati, créée en mai 1783 par George Washington, réunit les aînés des descendants des officiers ayant participé à la guerre d'Indépendance des Etats-Unis.
Aux treize Sociétés d'Etat d'origine s'adjoignit, le 16 janvier 1784, une branche française. Dispersée en 1792, cette dernière fut reconstituée en 1925 ; elle a été reconnue d'utilité publique en 1976.
Quels étaient les Français admis dès l'origine au sein de la Société ?
Lorsque le 13 mai 1783, "The Society of the Cincinnati" fut créée, la plupart des régiments français de la campagne d'Amérique étaient soit déjà rapatriés, soit en voie de l'être, et l'essentiel de la flotte avait cinglé dès le 4 novembre 1781 vers les Antilles après avoir laissé trois vaisseaux dans la baie de la Chesapeake.
Sept français furent inscrits d'office par les fondateurs, de même que, dès le début, il fut admis que les généraux et colonels de l'armée de Rochambeau seraient considérés automatiquement comme membres. Mais pour les autres? A de rares exceptions près, Washington refusa et fit renvoyer en France les "volontaires" de la première heure car beaucoup d'entre eux étaient des aventuriers.
En revanche, furent accueillis très facilement les officiers français engagés à titre individuel, avant la signature de l'alliance, dans l'armée continentale américaine, comme c'était le cas de La Fayette, Kalb et du Portail. Pour les officiers des régiments envoyés par le Roi de France après 1778, ils étaient éligibles, à la condition de pouvoir le prouver.
Ne sachant où présenter leur candidature, nombreux furent ceux qui écrivirent directement au général Washington ou à d'autres personnalités américaines.
Naturellement celles-ci furent rapidement débordées et très embarrassées car elles ne disposaient d'aucune archive permettant d'apprécier le bien-fondé de ces demandes. Dès qu'elle fut créée, la branche française se vit confier toutes ces candidatures, à charge de leur donner la suite qu'elles méritaient.
Washington tenait à ce que la France participât à l'entreprise Cincinnati; c'est ce qui ressort, notamment, de l'article 27 des statuts d'origine de "The Society of the Cincinnati", fondée en mai 1783.
"La Société, profondément sensible à l'assistance "généreuse que le pays a reçue de la France, et désireuse "de perpétuer les liens d'amitié qui ont étés formés et se "sont si heureusement maintenus entre les officiers des "armées alliées pendant toute la durée de la guerre, "décide que le Président Général transmettra aussitôt "que possible l'insigne de l'institution à chacune des "personnalités ci-après:
"les officiers généraux et capitaines de vaisseau de "la marine "française(1), les généraux et colonels de "l'armée expéditionnaire française, en les informant "que la Société se fait l'honneur de les considérer comme "membres de l'association."
Avec ce souci en tête, Washington confia au major L'Enfant, officier français de son entourage, auteur, plus tard, du plan de la ville de Washington, la mission de se rendre à Paris afin d'aider ses compatriotes à mettre sur pied la branche française. Sa démarche fut couronnée de succès.
Après examen de l'affaire au Conseil du Roi, le 18 décembre 1783, non seulement le souverain approuva le projet, mais il marqua son intention de veiller personnellement aux destinées de cette institution dans laquelle il voyait un excellent moyen de perpétuer l'alliance avec la nation américaine.
En en acceptant le haut patronage, le Roi autorisa le port de l'insigne, qui, avec celui de la Toison d'Or, étaient d'ailleurs les seules distinctions que les Français, suivant l'usage arboraient ailleurs que sur leur lit de mort.
Fondation de la Société des Cincinnati de France
La Société française fut fondée en janvier 1784. Le vice-amiral d'Estaing, son premier président, assuma cette fonction jusqu'à sa dispersion en 1792.
Elle se constitua au cours de deux réunions tenues, à Paris l'une au domicile du lieutenant général de Rochambeau, 40 rue du Cherche-Midi pour les officiers du corps expéditionnaire français, l'autre au domicile de La Fayette, rue de Bourbon(2),pour les officiers français qui avaient servi sous les 13 étoiles, les deux groupes ayant décidé de s'unir sous le houlette du comte d'Estaing, président.
La première séance, le 7 janvier, s'attaqua aux nombreux problèmes que posaient certaines incohérences dans les statuts; en voici quelques exemples:
Les anciens du corps expéditionnaire n'étaient admis qu'à partir du grade de colonel, tandis que les français engagés à titre individuel dans l'armée américaine l'étaient, même avec un grade inférieur.
Alors que les officiers de l'armée de Rochambeau pouvaient devenir Cincinnati, la même faculté n'était pas prévue en faveur de leurs camarades qui avaient combattu sous d'Estaing au Rhode Island et en Georgie.
Le cas des officiers de marine n'était pas envisagé non plus; cela était d'autant plus choquant que le rôle de la flotte française dans la victoire contre l'Angleterre avait été déterminant.
Toutes ces questions furent reprises le 16 janvier 1784, date qu'on peut considérer comme celle du vrai départ des Cincinnati de France. Le major L'Enfant prit sur lui de corriger, au nom de la Société Générale, la plupart de ces anomalies.
Lorsque la révolution éclata en France, les réactions individuelles des membres furent diverses. Au tout début, certains, surtout parmi les jeunes officiers, sentaient, comme le Roi lui-même, qu'une évolution s'imposait et ils éprouvaient de la sympathie pour l'aspect équitable et généreux de telle ou telle idéologie invoquée par les réformateurs, mais ces officiers restaient fidèles au Roi, tout en étant les apôtres des "idées nouvelles" tel le vicomte de Noailles.
Vingt-et-un membres de la Société participèrent aux Etats-Généraux de 1789, et l'un d'entre eux, le marquis de Rostaing, siégea avec la délégation du Tiers-Etat. En 1790, le comte Alexandre de Lameth présida l'Assemblée Constituante.
Cela étant dit, comme chacun le sait, l'idéal de la Révolution dériva vers des excès qui aboutirent à la Terreur; ceux des Cincinnati qui avaient espéré une évolution raisonnable déchantèrent, et, à de très rares exceptions près, conservèrent leur fidélité au Roi.
Pour ne donner qu'un exemple, le 10 août 1792, le baron de Vioménil fut mortellement blessé en défendant la famille royale aux Tuileries. Cette date est retenue comme celle de la dispersion de la Société des Cincinnati de France jusqu'à ce qu'elle reprenne vie en 1925.
La Société des Cincinnati de France au XIXe siècle
Le baron de Contenson(3), fondateur déjà en 1917 de "l'Alliance Américaine" reconstitua la société française après avoir obtenu l'accord de la Société Générale, qu'elle exprima dans son assemblée générale de 1923. Dix-neuf descendants d'officiers français ayant combattu pour l'indépendance des Etats-Unis se joignirent au baron de Contenson.
La Société Générale, dans son assemblée générale du 31 décembre 1926, déclara que la société des Cincinnati de France était reconnue à nouveau comme la quatorzième de l'organisation américaine. Ainsi, après cent trente années d'éclipses diverses de part et d'autre de l'Atlantique, la Société des Cincinnati avait retrouvé ses quatorze éléments.
La branche française reprit les statuts de 1783 tout en y apportant des modifications inspirées par celles de la Société Générale au cours des deux siècles écoulés. Elle constitue une association sous le régime de la loi du 1er juillet 1901, et elle a été reconnue d'utilité publique par décret du 20 juillet 1976.
Les relations entre la Société des Cincinnati de France et la Société générale
Les rapports entre la Société Générale et sa branche française ont toujours été étroits et cordiaux. Dès sa constitution au dix huitième siècle, la société française tint à marquer la chaleur de ses sentiments à l'égard de ses consœurs américaines.
A une époque où de nombreux officiers américains connaissaient une situation matérielle précaire, nos Cincinnati avaient fait une collecte à leur intention qui avait rapporté 60 000 livres.
Avec dignité, la Société Générale refusa ce don mais ne manqua pas de montrer combien cette initiative généreuse des Français avait touché leurs collègues d'outre-Atlantique.
Dès avril 1784, soit trois mois après la fondation de la société française, le comte d'Estaing fait parvenir au Général Washington au nom des officiers de la marine royale "l'aigle enrichi de diamants" splendide bijou représentant l'insigne des Cincinnati. En le recevant, Washington déclara qu'il n'en porterait plus d'autre, et que seul le Président Général aurait le droit de l'arborer. De plus, il serait le seul insigne des Présidents Généraux à venir qui se le transmettraient, de successeur en successeur. De fait, plus de deux siècles plus tard, l'aigle enrichi de diamants est toujours le seul insigne du Président Général; une belle réplique ancienne étant celui du Vice-président-Général.
La société française a contribué aussi, depuis sa renaissance à l'enrichissement des archives et des collections historiques d'Anderson House.
La branche française a aidé, il y a quelques années, à valoriser les souvenirs du champ de bataille de Yorktown où s'était déroulée la lutte victorieuse des troupes franco-américaine contre les Anglais en 1781, bataille qui décida du sort de la guerre. Elle a obtenu à deux reprises que le gouvernement français fasse don à Yorktown de reproductions de canons du dix huitième siècle qu'on peut voir désormais à l'emplacement qu'ils occupaient sur le terrain lors des combats. Enfin, les Cincinnati de France ont contribué à l'érection d'un monument à Yorktown sur lequel sont gravés les noms des officiers et soldats de l'armée de terre et de la marine royale tués pendant la campagne d'Amérique. Ce monument a été inauguré le 19 octobre 1989.
De leur côté, les Cincinnati américains ont pris de nombreuses initiatives afin de témoigner leur désir de maintenir des relations chaleureuses avec leurs collègues français et la France. C'est ainsi qu'en 1962, ils instituèrent une bourse permettant chaque année à un fils de membre français désigné par la branche française d'effectuer aux Etats-Unis un voyage circulaire au cours duquel il serait hébergé par une succession de collègues américains. Depuis une quinzaine d'années, les Cincinnati de France en font autant au profit d'un fils de collègue américain.
En 1974, les Cincinnati d'Amérique firent don à la ville de Vendôme d'une statue de Rochambeau afin qu'elle prenne la place de celle qui ornait le centre de la ville jusqu'à ce qu'elle fût détruite par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale.
A l'occasion du bicentenaire (1978), de l'intervention officielle de la France aux côtés des insurgents américains, la Société Générale proposa à la branche française de désigner un de ses membres pour la fonction de Vice-président-Général. Cet honneur revint au comte de La Villèsbrunne qui devint ainsi le premier français en deux siècles à devenir le numéro deux de l'institution américaine la plus prestigieuse.
(1) le 17 mai 1784, la Société Générale étendit cette distinction en admettant au sein de la Société française certains officiers de la marine française d'un grade inférieur à celui de capitaine de vaisseau qui avaient cependant commandé des bâtiments de guerre aux Etats-Unis ou aux Antilles pendant les opérations entre le 6 février 1778 et le 11 avril 1782 (Contenson p.53).
(2) débaptisée en 1792 pour devenir la rue de Lille.
(3) auteur de l'ouvrage: "La Société des Cincinnati de France et la Guerre d'Amérique, 1778-1783", Editions Auguste LEPICARD Paris 1934.