Fleurieu ou la passion de la France et de la science

Charles-Pierre ClaretCharles Pierre Claret de Fleurieu* n’eut qu’un enfant ayant eu une descendance, Mme de Saint Ouën, auteur d’émouvants souvenirs. L’auteur de ces lignes en est issu et va tenter de brosser un bref portrait de son sextaïeul et des qualités qui lui ont permis de traverser les régimes successifs.

Officier de marine embarqué dès l’âge de 13 ans en 1751, c’était un homme de science doué d’une intelligence et d’une capacité de travail peu communes. Féru de cartographie, il fut le grand organisateur de l’expédition de La Pérouse. Passionné de mécanique, il créa de ses propres mains la première horloge de marine en collaboration avec Berthoud, le grand horloger de l’époque. « M. de Fleurieu a l’intelligence la plus vaste et la plus élevée que j’aie pu découvrir parmi les marins de l’époque » affirmait M. de Sartine, tandis que Mme de Genlis confiait que « M. de Fleurieu était d’une adresse extrême, il savait faire des montres comme un horloger ! » À son décès, le notaire fut surpris de découvrir tout un atelier avec scies à métaux et établi en acajou !

C’était également un homme pénétré de la grandeur de la France. Fleurieu visera sans cesse à ravir à l’Angleterre la domination des mers. Directeur des ports et arsenaux à partir de 1776, il s’occupa de tout pendant la guerre d’indépendance américaine, depuis la construction et l’entretien des vaisseaux jusqu’à l’équipement des ports et aux instructions destinées aux chefs d’escadre. Il était même partisan d’une attaque de l’ennemi sur son propre sol, ayant planifié un débarquement en Angleterre ! La défection des Espagnols compromit ce projet au dernier moment, tout était prêt ! Puis il n’aura de cesse sous l’Empire de travailler pour la Marine française : « Vous verrez cette Marine sortir de dessous les décombres et reprendre l’attitude imposante qui lui appartient. »

C’était aussi un homme loyal envers sa patrie, estimé de tous et ne sollicitant rien pour lui. Fleurieu témoigna d’un attachement et d’une fidélité sans faille à Louis XVI. Ministre de la Marine en 1790-1791 puis gouverneur du Dauphin en 1792 « en raison de sa probité, de ses lumières et de son dévouement à la Constitution » (Louis XVI), il est aux Tuileries avec le roi et la reine depuis le 9 août 1792 au soir jusqu’au tragique lendemain, les accompagnant dans leur fuite jusqu’à la porte de la salle du Manège où l’Assemblée législative tenait ses séances, s’en voyant interdire l’entrée et devant laisser là son souverain qu’il ne reverra plus. Emprisonné à deux reprises en 1793 et 1794, hostile aux émigrés, dont les comtes de Provence et d’Artois, et souhaitant « servir son pays quelle que fut la forme du gouvernement [Consulat, puis l’Empire] », Fleurieu « n’hésita pas à se rattacher à ce nouveau gouvernement qui, avec sa gloire, ramenait l’ordre et la tranquillité », nommé membre de l’Institut, conseiller d’État, sénateur, comte de l’Empire, grand officier de la Légion d’honneur, etc. « De la reconnaissance, vous ne m’en devez aucune : si j’avais connu quelqu’un de plus intègre que vous, je l’aurai choisi » lui écrit l’Empereur. Intendant général de la liste civile, il est savoureux de parcourir la description, de la main même de Fleurieu, des quelques 200 somptueux cadeaux offerts aux invités étrangers à l’occasion du sacre !

Fleurieu se maria à l’âge de 53 ans avec Aglaë des Lacs du Bousquet d’Arcambal, de 36 années sa cadette, après avoir été successivement épris de la grand-mère puis de la mère de son épouse, remarquable constance de sentiments sur trois générations ! Élevée avec les princes d’Orléans par sa tante Mme de Genlis, la très distinguée Mme de Fleurieu, dame d’honneur de Madame Mère, était la fille du marquis d’Arcambal – nom épique qui fait rêver – qui fut colonel de la légion corse. Très lié à la famille Bonaparte, celui-ci recommanda la candidature du jeune Napoléon pour le collège de Brienne : sans doute l’Empereur s’en est-il souvenu... Quant à la marquise d’Arcambal, elle était réputée être la fille adultérine d’un fermier général, M. Le Normand d’Etiolles (décédé très âgé sous le Consulat), qui n’était autre que l’époux d’une certaine... marquise de Pompadour ! Mais, loin des fastes de sa jeunesse, Mme de Fleurieu, qui fut incarcérée avec son époux alors qu’elle était enceinte, se trouva ruinée une fois veuve : l’État ne remboursa jamais les frais colossaux avancés pour un magistral atlas de la Mer Baltique aux 71 planches entièrement réalisées par feu son époux... L’un de ses frères, filleul de Fleurieu, participa à l’expédition de d’Entrecasteaux avant d’être tué à la bataille de Trafalgar.

En récompense de ses services, l’Empereur honora le comte de Fleurieu de funérailles nationales en 1810 et ordonna qu’il soit inhumé en l’église Sainte Geneviève. Fierté familiale d’avoir un ancêtre reposant au Panthéon ! Ainsi cet homme réservé et ayant mené une vie modeste aura-t-il consacré sa vie entière à la marine française, n’envisageant pas un monde sans la France ni la France sans ouverture sur le monde. « Animé par le plus pur patriotisme, l’amour du bien et celui de la science », il laissa en héritage son savoir, son honneur et ses vertus.