Rochambeau en Amérique : chronologie et raisons d’un succès

maréchal de RochambeauSelon Napoléon, « l’art de la guerre est un art simple et tout d’exécution ; il n’y a rien de vague, tout y est bon sens, rien n’y est idéologie » et pour Paul Valéry, « un grand homme est une relation particulièrement exacte entre des idées et une exécution ». Ces deux citations s’appliquent parfaitement à la personnalité de Jean Baptiste Donatien de Vimeur, comte de Rochambeau, soldat accompli et combattant exemplaire dont le nom reste associé pour la postérité à la victoire de Yorktown.

 

Chronologie

L’année 1779 se termine en demi-teinte tant au regard de l’échec de la campagne de la Manche qu’à l’insuccès relatif de l’escadre du comte d’Estaing – en particulier à Savannah. Il n’en reste pas moins qu’une leçon peut en être tirée : les Insurgents ont besoin d’un soutien efficace sur place.

Le 2 février 1780 au Conseil du roi, est prise la décision de l’envoi d’un corps expéditionnaire sous l’autorité « d’un chef instruit, qui eut de la réputation militaire ». Montbarrey propose au roi de nommer Rochambeau à la tête des troupes, La Fayette étant jugé comme manquant d’expérience, Broglie trop « impulsif » et de Vaux trop lié à Vergennes qui l’avait fait nommer à la tête de l’expédition de 1779. Le 9 mars, il en informe officiellement Rochambeau, promu entre-temps le 1er mars lieutenant général.

Rochambeau, s’appuyant sur les précédents de 1664 (envoi d’un corps au secours de Vienne) et de 1691 (envoi d’un corps en Irlande), propose de porter le nombre de troupes de 4000 à 6000 hommes: « un corps de 12 bataillons ou de 6000 hommes a plus de consistance, on peut en mettre un tiers en réserve… », une « poignée de cavaliers » et geste prémonitoire, en plus de l’artillerie de campagne, un train d’artillerie de siège conséquent, seul susceptible de frapper « quelque coup décisif ». De surcroît et comme l’essentiel des opérations se déroulait en Amérique à proximité des côtes et qu’il avait été observé que les Anglais privilégiaient le déplacement de leurs forces par voie maritime et fluviale, eu égard aux communications terrestres rares et peu praticables, il insistait sur la nécessité de pouvoir disposer d’une composante marine. Sans entrer plus dans les détails, il convient de retenir l’excellence de la préparation et le souci du moindre détail « logistique ». Cependant les capacités de transport de troupes étaient limitées et l’on dut se résoudre à une « projection des forces » en deux temps : sur les six régiments initialement prévus, BOURBONNAIS - SOISSONNAIS - SAINTONGE - ROYAL DEUX PONTS – NEUSTRIE et ANHALT, seuls les quatre premiers ainsi que la Légion de Lauzun et les artilleurs du 2e bataillon du régiment d’Auxonne formant la 1ère division furent embarqués ; les deux autres restèrent en France.

Rochambeau disposait d’une instruction générale et d’une instruction secrètes qui fixaient le cadre général de l’action à mener, l’autonomie dont il pouvait user et ses limites. Alliées des Américains, les troupes françaises devaient se comporter en « auxiliaires » et leur chef rester aux ordres de Washington. Si l’emploi des troupes françaises, leur participation aux opérations étaient laissés à l’appréciation du généralissime américain, la mise en oeuvre tactique restait une prérogative du commandement français. En résumé décision stratégique unifiée des opérations, autonomie tactique de l’armée Rochambeau.

Parties le 2 mai de Brest, les troupes débarquent à Newport à partir du 11 juillet. La menace de la flotte d’Arbuthnot accélère la coopération francoaméricaine pour la mise en sûreté de Newport. La rencontre avec Washington a lieu le 20 septembre à Hartford : le généralissime, retenant l’idée de Rochambeau que les deux préalables à une offensive réussie (maîtrise de la mer et arrivée des renforts français) obligent à ne rien tenter dans l’immédiat contre New York, décide d’attendre le printemps 1781.

En février 1781 cependant, Washington demande à Rochambeau un corps de 1000 hommes pour appuyer La Fayette et les troupes américaines envoyées en Virginie. Rochambeau lui répond favorablement le 25 février et confie à Viomesnil le commandement de 1 200 hommes avec un appui d’artillerie qui embarqueront sur les navires de Destouches. L’escadre appareille le 8 mars mais est rejointe par celle d’Arbuthnot bien décidé à lui barrer la route. Un combat très vif s’engage le 16 mars et l’Anglais tenant l’entrée de la baie de la Chesapeake, Destouches ne peut débarquer les troupes et doit regagner Newport. Washington persiste dans son idée de chasser de New York les Anglais, mais sans grand espoir de déboucher étant donné le déséquilibre des forces en présence tant terrestres que navales Un fait nouveau allait donc se révéler déterminant pour la suite des événements. Versailles comprenait enfin qu’il ne pouvait être envisagé d’attaquer les positions anglaises et de les réduire qu’avec l’appui de forces navales correctement dimensionnées.
Castries, nouveau ministre de la Marine, va donner une impulsion essentielle : Suffren ira aux Indes orientales, Barras rejoindra l’escadre de Rhode Island tandis que de Grasse se voit confier une mission très large: assurer la protection des possessions françaises des Antilles avec possibilité d’intervenir en Amérique du nord pour appuyer les opérations de l’armée de Rochambeau.

Il restait donc à choisir l’espace où serait appliqué l’effort principal: au Nord à New York comme le voulait Washington ou au Sud du côté de la Chesapeake où se trouvait La Fayette ?

Le 24 mai Rochambeau rencontre Washington à Watersfield : le généralissime reste attaché à la prise de New York, objectif plus politique que militaire.

La discussion est ferme et pour concilier les points de vue, il est décidé que les deux armées feraient leur jonction en vue de New York et seraient en mesure, soit d’agir contre la ville, soit de poursuivre leur progression vers le Sud.

Les opérations seront de deux types : terrestre et naval et leur conjonction permettra d’atteindre le résultat final.

Coté Terre, deux phases sont à distinguer : d’abord un mouvement des troupes américaines et françaises en direction de New York, leur jonction à Dobb’s Ferry, suivie de reconnaissances en vue d’une attaque éventuelle et l’attente (12 juin - 18 août), puis une reprise du mouvement en direction du Sud (19 août - 26 septembre), les forces alliées progressant à partir de Headof-Elk (6 septembre) suivant deux modes d’acheminement : embarquées (l’avant-garde à Elk, puis une partie des troupes à Annapolis - 19 au 19 septembre) ou par voie terrestre.

Côté Mer et à la jointure de ces deux phases, la manœuvre esquissée dès le mois de mai par Rochambeau lorsque le 28, s’adressant à de Grasse, il lui proposait de privilégier la Chesapeake. Cependant, le 18 juin, le général transmet le désir de Washington de voir l’escadre française participer aux opérations contre New York. De son côté, La Luzerne indique à de Grasse qu’il est inquiet pour le sort de la Virginie et qu’il lui conseille d’y porter ses efforts.

De Grasse choisit de rallier la Virginie et décide d’appareiller le 4 août après avoir embarqué 3300 hommes, prélevés sur les troupes de Saint-Domingue (AGENAIS, GATINAIS ET TOURAINE) et placés sous les ordres de Saint Simon. Le 15 août, Washington et Rochambeau prennent connaissance du plan de de Grasse et décident de ne laisser en face de Clinton qu’un simple plastron et de se porter vers la Chesapeake avec le gros de leurs forces. Restait une inconnue, la flotte anglaise qui n’allait pas manquer de secourir Cornwallis. Donc pour gagner du temps, il est décidé que lorsque l’on arriverait sur les bords de la Chesapeake à son extrémité la plus au nord, une partie des troupes serait embarquée et ainsi transportée au plus près de l’embouchure au sud, tandis que les autres continueraient à pied.

Entre-temps et sur mer, de Grasse emportait un succès décisif puisque arrivé à la Chesapeake le 31 août, il établissait le blocus des rivières York et James, débarquait le corps de Saint-Simon, avant d’appareiller pour engager la bataille le 5 septembre et chasser l’Anglais. Le 11 septembre, de Grasse vainqueur revient à la Chesapeake pour trouver l’escadre de Barras qui venant de Newport et transportant des renforts et l’artillerie de siège, est passée derrière les Anglais pendant qu’ils se battaient avec les Français.

Les troupes de Cornwallis ne peuvent plus être secourues par la mer et les forces combinées de Washington et de Rochambeau vont les prendre en tenaille au Sud à York et au Nord à Gloucester.

 

Les raisons de son succès

Rochambeau fut nommé à la tête de l’expédition en raison de son passé militaire, de sa loyauté et de son sens de la discipline. Le choix s’avéra des plus heureux et paradoxalement la fermeté dont il sut faire preuve, sa rigueur toute militaire servirent admirablement les desseins communs. Appelé à diriger seul une armée à plus de 5000 km de ses bases, le général appliqua avec conscience et intelligence les principes tirés des règlements comme de ses très nombreuses lectures et surtout de sa propre expérience. Aussi, sous le commandement de ce militaire chevronné, la campagne d’Amérique n’eut-elle rien d’une improvisation. Il fut un chef exemplaire qui sut tirer le meilleur parti des moyens mis à sa disposition et pratiquer « l’économie des forces », c’est-à-dire en fait l’art « de faire nombre, de l’avoir pour soi au point d’attaque choisi ».

Rochambeau entendait se situer comme un général, homme de guerre subordonné au pouvoir politique dont toutefois il se reconnaissait le droit de discuter les compétences militaires. Dans le débat stratégique fondamental, New York ou la Chesapeake, il fit d’emblée le bon choix en répétant inlassablement à Washington qui préconisait l’attaque de la première qu’il n’irait devant elle que s’il bénéficiait de la double supériorité terrestre et navale.

Celle-ci tardant à se présenter, il sut infléchir la manœuvre finale et convaincre Washington de faire un effort décisif au Sud. Et c’est l’action combinée de la composante navale française et terrestre franco-américaine qui permet la victoire. Mais si pas de Yorktown sans Chesapeake, quid d’une victoire de la Chesapeake qui n’aurait pas été suivie par celle de Yorktown ?

Et depuis Napoléon, chacun sait que « Toute opération doit être faite par un système, parce que le hasard ne fait rien réussir. À la guerre, rien ne s’obtient que par le calcul ; tout ce qui n’est pas profondément médité dans les détails ne produit aucun résultat ».

Si Rochambeau n’est pas compris dans la promotion des dix maréchaux de France du 13 juin 1783, à l’instar de Castries, Ségur et de Vaux, il a été fait Chevalier des Ordres du Roi, c’est-à-dire du Saint-Esprit, le 8 juin et sera reçu dans l’ordre le 1er janvier 1784. Son bâton de maréchal, il le recevra de la Constituante le 28 décembre 1791. Il est ainsi le 295e et dernier maréchal de France de l’Ancien régime.

 

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