Et si New York avait parlé français, par le général Gilbert Forray
Dans son avant-propos, l’auteur affiche d’emblée sa démarche : « à travers l’histoire française, et aussi celle de ses partenaires ou adversaires en Europe, essayer de rechercher les causes diverses et nombreuses de l’échec de notre pays, qui, en définitive, est celui de notre langue. ».
Mais entendons-nous bien, nulle mélancolie ou condamnation a posteriori, plutôt une recherche constante autant que « didactique » des raisons que viennent amplifier les deux phénomènes mécaniques propres à l’Histoire : « les aiguillages » qui, à l’insu des contemporains, lui font prendre une direction déterminante pour la suite des évènements et l’« engrenage » qui conduit les gouvernants là où ils ne voudraient pas aller. La partie va ainsi se jouer en quatre phases : « Quand l’Amérique était à prendre : 1492-1613 », « Des espérances aux désillusions : 1613-1713 », « La chute : 1715-1763 » et « Ultimes conséquences : 1781,1803 ». À l’intérieur de ces larges segments chronologiques, une analyse très fouillée des faits et des hommes, de leurs espoirs et de leurs réussites, de leurs mécomptes et de leurs échecs. Tous agirent mais bien souvent et en particulier les gouvernants de l’époque, « trop peu ou trop tard ». La France puissance continentale et terrienne entendait bien le rester. L’Angleterre qui est une île - « ce qui simplifie singulièrement la tâche des défenseurs et complique celle des assaillants » -, se trouvait tout naturellement portée à une vision plus panoramique pour ne pas dire « panoptique » du monde qui l’entourait. Le temps perdu, l’énergie dilapidée dans des querelles religieuses et intestines (les guerres de Religion, la Fronde, la révocation de l’édit de Nantes, les rivalités dynastiques), une incapacité « récurrente » à se réformer autrement que par les crises ou les révolutions, un manque de réactivité ne peuvent tout expliquer. Mais ils ont pesé lourd dans la balance. Ainsi par exemple le projet de Louis XIV en 1689 pour s’emparer de New York ne pourra être mené à son terme faute de moyens correctement dimensionnés. De son côté, l’Angleterre ne relâchera pas son effort même si elle ne peut régler (provisoirement) le sort de Québec. Quoi qu’il en soit et comme le souligne l’auteur, « si l’Amérique du Nord est aujourd’hui anglophone, c’est en partie à la guerre de Succession d’Espagne qu’on le doit. La défense du pré-carré avait prévalu sur toute autre opinion. ». Par les traités d’Utrecht, la France devait en effet céder à l’Angleterre, l’Acadie et Terre-Neuve, ce qui à terme allait sceller le destin de l’Amérique française, déjà fortement compromis par le déficit démographique face aux colonies anglaises. La mise en perspective des événements qui s’étaient déroulés de 1492 à 1713 ainsi réalisée, le dénouement était inévitable. Au handicap démographique, l’Amérique française n’est pas une terre de peuplement, s’ajoute le maritime, dans la mesure où la marine française – de guerre ou de commerce - ne réussit pas à s’imposer de façon durable face à la marine anglaise. Le temps va jouer contre la France qui dès 1756 est engagée sur trois fronts : en Méditerranée, en Amérique, en Allemagne. La suite est bien connue et aboutira au traité de 1763 qui règle le destin de la Nouvelle France. Mais 15 ans plus tard – et 15 ans c’est peu en histoire – la France intervenait dans la guerre d’indépendance des 13 colonies avec le résultat que l’on connaît. Si elle ne reprenait pas pied au Canada, et c’était là un choix délibéré, elle retrouvait le 16 octobre 1800 par le traité secret de San Ildefonso, la Louisiane (cédée à l’Espagne en 1763). Pas pour longtemps cependant puisqu’elle était vendue aux États-Unis. Le 20 décembre 1803, la prise de possession leur permettait de doubler le territoire et de donner l’assise nécessaire pour entamer la conquête de l’ouest… Ainsi au terme d’une période de près de trois siècles, ce n’est pas tellement une possession coloniale que le cours du temps aurait de toute façon transformé qui était perdue par la France mais un continent parlant sa langue, celle que l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles parlait. De multiples obstacles s’étaient accumulés, dont ceux bâtis par les Français eux-mêmes. Il n’est pas sûr qu’ils en aient tiré aujourd’hui toutes les leçons. Cet ouvrage est accompagné de trois annexes (repères chronologiques, récapitulatif des guerres de 1494 à 1815, bibliographie) et de trois cartes.
Un volume 15,5 x 23,8. 404 pages
Éd. Economica. Paris. 2006
ISBN 2-7178-5237-9
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