Lafayette et la Guerre d'indépendance. Neuf lettres inédites

Américaniste, le professeur B. Vincent présente ici très soigneusement neuf lettres de Lafayette au comte de Broglie (1719-1781), ancien directeur du « cabinet noir » de Louis XV dit encore « Secret du roi ». Exilé à Ruffec où il a acheté l'ancien château de Saint-Simon le mémorialiste, pour tromper l'inaction il y gère une fonderie de canons et rêve de devenir le chef civil et militaire des Américains en révolte. Son agent auprès d'eux, le baron de Kalb (tué en 1780) jugea rapidement ce plan chimérique et le lui écrivit sans détours. Lafayette en pensait sans doute autant mais sut garder son appui et sa protection, utiles à son ambition.
Ces lettres sont aujourd'hui la propriété de notre collègue Odon de Quinsonas-Oudinot, descendant direct du comte. Il vient de donner généreusement l'une d'elles à notre société, commentée ci-après.

Lafayette et la guerre d'Indépendance. Neuf lettres inédites introduites et présentées par Bernard Vincent dans Sources Revue d'études anglophones, n° 16, pp. 7 – 64, Université d'Orléans, Intertrad, éd. Paradigme, 14 quai Saint-Laurent, 45000 Orléans, 2004

Une lettre autographe signée est un document irremplaçable qui touche directement à l’histoire. Il n’est que de citer André Gide lorsqu’il écrivait que « la correspondance, parce qu’elle traduit des nuances et révèle des profondeurs que le langage parlé ne connaît pas, permet souvent la plus subtile communion de deux êtres ».

Sur cette feuille en effet s’est penché le visage du scripteur – non pas forcément tel que l’a fixé la postérité, mais dans sa réalité –, s’est promené sa main, s’est appesanti son souffle. Sans doute est-elle aussi ce que l’homme laisse aujourd’hui de plus vivant après lui. Et c’est la chance de l’historien que de pouvoir travailler sur de tels documents et à chaque fois une merveilleuse découverte. Cette lettre de Lafayette en est une illustration exemplaire.

De par son contenu d’abord puisque écrite le 11 septembre 1778, soit un an jour pour jour après qu’il ait été blessé à la bataille de Brandwyne, elle offre au lecteur une remarquable synthèse des évènements passés et des réflexions qu’ils lui ont inspiré (cf. supra l’excellente analyse de Bernard Vincent), alors qu’il vient d’avoir 21 ans depuis quelques jours. Notre propos s’attachera donc à un aspect plus formel par le biais d’une approche purement « graphologique », pour éclairer sous un angle différent mais complémentaire, la personnalité profonde de ce personnage hors du commun, figure emblématique de l’intervention française en faveur de l’Indépendance américaine, mais dont l’action ultérieure devait susciter des jugements souvent contradictoires.

D’une manière globale, l’écriture légèrement « concave » reflète une certaine tendance initiale au découragement, vite surmontée, car le scripteur est sûr de triompher à la longue des difficultés.

Sa valeur dominante oscille entre la loi et l’œuvre à accomplir. Cette écriture dénote en effet une émotivité qui lui donne une énergie propulsive, une activité qui le trempe pour la lutte. Il ne dévie pas de la voie tracée, mobilise tout ce qui peut servir à ses fins. Enthousiaste, ayant un grand besoin d’activité physique, il est persévérant, opiniâtre, acharné même mais sans raideur ni entêtement, car l’objectif qu’il s’est fixé l’oblige à s’adapter aux circonstances. Il a un idéal social, politique, religieux qui dépasse toujours son intérêt personnel et il fait volontiers le sacrifice de sa vie, de ses aises, de ses biens. Si effort et ambition le nourrissent, il a une grande puissance de travail. Il dispose souvent des hommes comme il dispose de lui-même.

Fidèle, patriote, sans vanité, il sait faire preuve d’une très bonne adaptation « mondaine » et il prend très au sérieux la famille, la religion et surtout la Patrie. Mais cette écriture témoigne également d’une recherche inconsciente du père et une tendance à s’évader de l’influence du passé. Un certain pessimisme initial va se transformer en euphorie. C’est un ambitieux qui réalise, son activité sait se concentrer sur une fin unique. Apte au commandement, il a un sens très profond de la grandeur.

Ce portrait reconstitué est « daté » (1778). Mais il devrait servir de fil conducteur au lecteur qui au travers de ce qu’il connaît de la carrière ultérieure du général Lafayette, s’interroge sur l’évolution de cet homme et le retentissement des évènements auxquels il a été associé, en particulier ceux de la Révolution française et ses multiples conséquences.